La robotique collaborative (ou cobotique) est une évolution technologique qui a commencé à être largement intégrée dans le milieu de travail ces dernières années, et ce, depuis la quatrième révolution industrielle. Elle est reliée à une branche technologique émergente qui vise à combiner la cognitique (intégration de l’humain et le numérique, etc.), les facteurs humains (comportement, décision, robustesse, contrôle de l’erreur, etc.), la biomécanique (mécanique physique, dynamique des mouvements, efforts, limites biologiques, etc.) avec la robotique classique (modélisation, programmation, mouvements, capteurs, forces, etc.). L’introduction de la cobotique vise principalement à innover et à améliorer les processus. Elle vient avec diverses opportunités, mais elle soulève plusieurs enjeux en matière de santé et de sécurité au travail (SST).
Cet article – Courant d’idées – est rédigé par Adel Badri, professeur titulaire au Département de génie industriel de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
En complémentarité avec la robotique classique, les cobots sont capables d’accomplir des tâches complexes et répétitives, tout en intégrant des mécanismes complexes de commande et de sécurité qui leur permettent de travailler en étroite collaboration avec les humains (coactivité). Le travail collaboratif entre les cobots et les humains peut inclure l’échange d’outils, l’aide à l’assemblage de pièces, l’accès dans des zones étroites, l’inspection, etc. L’organisation industrielle qui implique les cobots dans la conception et l’exécution de différentes tâches permet ainsi une meilleure combinaison des avantages des deux parties, soient, par exemple, la puissance, la précision et la flexibilité des robots avec l’intelligence, la dextérité et l’adaptabilité de l’humain. En contrepartie, cette organisation complexe peut générer des défis de taille qui peuvent être reliés à la proximité et les interactions entre ces cobots et les humains.
En fait, il était auparavant question de robots confinés dans des espaces protégés qui bougeaient, selon des séquences programmées, testées et validées au préalable. Les dangers reliés à la robotique classique sont donc plus faciles à identifier et à contrôler comparés à ceux issus d’une cobotique plus flexible, plus mobile, plus proche et qui réalise toutes sortes de tâches en étroite interaction avec les travailleurs. La fiabilité de ces équipements est de plus en plus difficile à évaluer et à assurer dans un environnement de plus en plus dynamique et complexe. L’analyse des dangers reliée à cette collaboration humain-machine dépend donc d’un environnement sociotechnique particulier et difficile à généraliser. Comparativement au débat classique sur l’erreur humaine, l’intelligence, la proximité et l’autonomie de ces équipements peuvent nous apporter une toute nouvelle problématique que l’on pourra appeler « erreurs des machines collaboratives ».
La robotique collaborative fait appel à plusieurs technologies qui font d’elle une machine assez complexe, malgré sa taille. Plusieurs de ces technologies sont anciennes et adaptées au besoin de cette évolution. Nous pourrons citer quelques-unes, à savoir.
› Capteurs de sécurité : plusieurs capteurs sont présents dans les cobots pour améliorer leur perception du milieu et leur réactivité face à des situations de travail souvent complexes. On peut citer les capteurs de proximité (distance), les capteurs de force (tactile) et les capteurs de vision (caméra). Tous ces capteurs permettent aux robots de détecter, entre autres, la présence humaine et d’ajuster leur comportement à temps ;
› Systèmes de détection : Les systèmes de vision spécifiques aux cobots sont de plus en plus précis, fiables et réactifs. Ces systèmes permettent aux cobots de mieux se situer dans leur milieu et de réagir instantanément aux changements imprévus, comme, entre autres, la présence d’un travailleur ou d’un équipement dans leur zone de travail ;
› Contrôle de la force ou du couple : Les cobots sont conçus pour évaluer rapidement et réagir face à la force appliquée. Ce contrôle instantané leur permet d’agir convenablement, lorsqu’ils entrent en contact avec des objets. Il s’ajoute à ce contrôle, l’utilisation de matériaux souples pour réduire les conséquences de l’impact ;
› Programmation et apprentissage : Les logiciels et les interfaces de programmation des cobots sont de plus en plus conviviaux, adaptatifs et faciles à utiliser. Ils permettent maintenant une programmation avec la reproduction des mouvements, sans même maîtriser un langage particulier de programmation ;
› Barrières et zones de sécurité : Les cobots peuvent permettre de définir des zones virtuelles de sécurité ou d’utiliser des barrières lumineuses pour délimiter les zones dans lesquelles ils peuvent opérer sans danger ;
› Intelligence artificielle : Certains cobots sont capables d’apprendre de nouvelles tâches et de s’adapter à des environnements changeants de manière autonome en intégrant leur commande à des solutions d’intelligence artificielle.
À ces technologies, il peut s’en ajouter d’autres, en fonction de la complexité du travail, les exigences réglementaires et le niveau de tolérance du risque dans l’organisation. Nous pourrons citer, à titre d’exemple.
› Alertes et communication : Les cobots peuvent être équipés de systèmes d’alerte visuels ou sonores qui signalent aux travailleurs lorsqu’ils accèdent à certaines zones. Ces alertes aident à avertir les travailleurs et les encouragent à respecter les consignes de distanciation, si possible ;
› Intégration avec les systèmes de sécurité d’autres machines : Les cobots peuvent s’intégrer au système de production de l’organisation. Cette intégration pourra prendre la forme de communication avec d’autres équipements mobiles et autonomes présents sur le plancher, comme l’exemple des véhicules autoguidés.
Ces avancées technologiques contribuent significativement à rendre la cobotique plus sûre et à promouvoir une collaboration efficace et harmonieuse dans le milieu du travail. Il est important de noter que l’aspect budgétaire et la capacité des entreprises influencent beaucoup le niveau d’équipement de ces robots, puisque plusieurs de ces avancées technologiques sont offertes en options.
En plus, les ingénieurs doivent mettre davantage l’accent sur la gestion des risques de manière globale et non pas fragmentée depuis la conception jusqu’à l’utilisation, en passant par l’intégration. En d’autres termes, les ingénieurs doivent situer les cobots dans leur milieu pour proposer une solution sécuritaire et robuste qui tient compte de la complémentarité entre les aspects organisationnels, technologiques et humains.
Nous citons par exemple la formation, qui en plus d’être une exigence légale, permet aux travailleurs d’interagir en toute sécurité avec les cobots, en les sensibilisant sur les limites de cette technologie. Un autre exemple qui prend de l’ampleur est celui de mettre davantage l’accent sur les contraintes ergonomiques et psychologiques en lien avec la présence de ces cobots dans le milieu de travail.
Il est difficile de cerner une liste de dangers émergents en lien avec une nouvelle technologie assez complexe qui cohabite avec des humains ayant des comportements et des caractéristiques complexes dans des lieux complexes faisant partie d’un système industriel complexe et sous la gouvernance d’organisation complexe. Le tout peut se résumer par la complexité !
Nous pourrons mentionner certains dangers reliés à la cobotique. Ces derniers sont largement cités par plusieurs entités et organismes, dont le Laboratoire d’innovation en santé et sécurité du travail (LiSST de l’UQTR), le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (Canada), l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (Québec), l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (France), le UK Health and Safety Executive (Royaume-Uni), l’Institute for Occupational Safety and Health of the German Social Accident Insurance (Allemagne) et la National Institute of Occupational Safety and Health (Japon).
› Interférences et impacts physiques (collision, coincement, écrasement, etc.) ;
› Problèmes hydrauliques, pneumatiques ou électriques ;
› Défaillances mécaniques, défectuosité du système d’alimentation ou défaillance du système de commande due à des erreurs de logiciels ou à des perturbations électromagnétiques ou radioélectriques ;
› Problèmes de sécurité informatique et de données ;
› Problèmes de stabilité des solutions techniques (programmes, capteurs, analyse des données, etc.) ;
› Erreurs de conception, d’intégration ou de maintenance ;
› Contraintes humaines, psychologiques et ergonomiques (erreurs humaines, formation, sensibilisation, comportement, surcharge mentale, fatigue, stress, troubles musculosquelettiques, etc.).
Les lois, les règlements et les normes ont souvent un caractère réactif. Ils suivent les évènements, les évolutions de la technologie et les nouveaux modèles organisationnels. Il est évident qu’une nouvelle révolution industrielle ou une mise en place de nouveaux systèmes industriels ou de technologies de plus en plus autonomes, intelligents, collaboratifs et connectés ne sera pas suivie à temps par un encadrement réglementaire et normatif.
Un système industriel qui intègre pour la première fois une possibilité de commande à distance (informatique en nuage, internet des objets, etc.) ou des capteurs qui augmentent l’autonomie ne sera plus géré par la norme applicable à l’ancienne génération. Il s’agit bien du cas de la robotique collaborative et la robotique classique. Il a fallu de tout revoir et les experts ont fait évoluer les normes internationales pour mieux encadrer la conception, l’intégration et l’utilisation des cobots. (Pour le détail des normes, référez-vous à la section Références – Normes spécifiques à la robotique collaborative ci-dessous.)
Il est à souligner que peu importe les origines de ces normes, il y a certaines exigences qui se complètent et certaines qui se répètent. En plus, dépendamment de l’utilisation des cobots et de leur intégration dans les systèmes industriels, il peut s’ajouter d’autres normes qui complètent les exigences, comme les normes reliées à la sécurité des machines (ISO102100, ISO13849-1, ISO13855, etc.).
Dans tous ces cas, il est important de rappeler que l’ingénieur a une obligation légale et éthique d’identifier toutes les normes applicables avant de concevoir des solutions industrielles pour veiller à la santé, à la sécurité et au bien-être des travailleurs.
Il est important de noter, avant de lister quelques stratégies, que les solutions techniques reliées à la robotique collaborative doivent être associées à des solutions organisationnelles afin de maximiser la santé et la sécurité des travailleurs.
On peut résumer ces stratégies par :
› Promouvoir les travaux de recherche interdisciplinaires pour mieux intégrer le travail de l’homme avec les cobots ;
› S’attaquer aux dangers émergents, à tous les niveaux organisationnels, tout en améliorant la responsabilité sociale des entreprises, la conception et l’aménagement des lieux de travail et l’utilisation efficace de ces technologies ;
› Mettre à jour certaines normes afin de mieux s’adapter au nouveau contexte industriel et maîtriser l’utilisation des nouvelles technologies ;
› Repenser le modèle de gestion des entreprises en tenant compte des nouvelles contraintes humaines et sociales ;
› Adapter les aménagements et les exigences du travail aux capacités physiques et cognitives des travailleurs et prioriser le bien-être au travail ;
› Renforcer l’expertise (formation) et la motivation (sensibilisation) des travailleurs pour promouvoir la collaboration sécuritaire avec les cobots ;
› Promouvoir, au préalable, les analyses virtuelles des tâches (simulations), les analyses cognitives de la charge de travail et les outils de gestion des compétences ;
› Développer des interfaces adaptatives et des capteurs de détection d’émotion pour contrôler et assurer continuellement la sécurité des travailleurs. Il sera donc important de modéliser le comportement humain en termes d’intention, de réaction, de stress, de difficultés et d’incertitude ;
› Protéger les données et les informations contre les accès non autorisés ou les cyberattaques.
Enfin et pour remédier aux différentes lacunes de SST, les chercheurs, les experts et les industriels doivent collaborer pour élaborer des solutions qui se basent sur une vision d’ensemble dans le but d’assurer une utilisation maîtrisée de la cobotique.
[1]Normes spécifiques à la robotique collaborative
Les normes spécifiques à la robotique collaborative sont les suivants :
› La norme internationale ISO/TS 15066 sur les « Robots et dispositifs robotiques — Robots coopératifs ».
› La norme internationale ISO/PAS 5672:2023 sur la « Robotique — Applications collaboratives — Méthodes d’essai pour mesurer les forces et les pressions dans les contacts homme-robot ».
› Le Rapport technique américain ANSI/RIA R15.606 intitulé « Technical Report for Industrial Robots and Robot Systems—Safety Requirements—Collaborative Robots ».
Il s’ajoute à cette liste, les normes spécifiques aux robots industriels :
› La norme canadienne CAN/CSA-Z434-F03 (C2013) sur les « Robots industriels et systèmes robotiques : Exigences générales de sécurité »
› La norme internationale ISO 10218-1 concernant les « Robots et dispositifs robotiques — Exigences de sécurité pour les robots industriels — Partie 1 : robots ».
› La norme internationale ISO 31101:2023 concernant la « Robotique — Services rendus par les robots de service — Exigences relatives aux systèmes de gestion de la sécurité ».
› La norme américaine ANSI/RIA R15.06 intitulée « Industrial Robots and Robot Systems—Safety Requirements »
› La norme française NF EN ISO 10218-1 sur les « Robots et dispositifs robotiques — Exigences de sécurité pour les robots industriels — Partie 1 : robots ».
Publications de recherche en lien avec le sujet :
› Risques de SST reliés à l’usage des véhicules autoguidés dans le contexte de l’Industrie 4.0
› Towards better understanding of the complex industrial systems: Case of production systems.
› OHS-Related Risks in an Industry 4.0 Manufacturing Plant.
› Occupational health and safety in the industry 4.0 era: A cause for major concern?
Publié : 24/09/2024
Publié : 26/02/2024